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vendredi 26 juillet 2013

Affaire Khodorkovsky / Lebedev: justice médiatique contre CEDH?

Voir: http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra-press/pages/search.aspx?i=003-4445688-5349938
http://www.gazeta.ru/comments/2013/07/25_e_5510061.shtml
http://www.newsru.com/russia/25jul2013/recall.html
http://www.ng.ru/news/438627.html

La CEDH vient, sans grande surprise, de rendre son verdict concernant le premier procès pénal contre M. Khodorkovsky et P. Lebedev. Elle confirme le caractère non politique du procès, ce qu'elle avait déjà affirmé dans sa décision du 31 mai 2011, sur le fond les accusations sont justement fondées, autrement dit il y a bien eu violation de la législation pénale et fiscale et le procès fut équitable. En revanche, le secret de la correspondance entre les avocats et leurs clients a été illégitimement violé, il y a eu atteinte à la vie familiale et le transfert de l'obligation de réparation de l'impôt de la personne morale vers les personnes physiques ne semble pas suffisamment justifié en droit interne.

Que signifie cette décision? 

Tout d'abord, sur le fond, il n'y a pas de raisons de remettre en cause la culpabillité de M. Khodorkovsky et de P. Lebedev. Sous couvert de schéma de réduction d'impôt, il y a bien eu évasion fiscale à grande échelle par le recours à des sociétés fictives, qui permettaient ensuite le retour des fonds sans qu'ils ne soient imposables. Pour cela, ils n'ont pas transmis toutes les informations nécessaires aux services fiscaux. Le recours contre eux par l'Etat russe est donc fondé en droit, et il n'y a pas eu de violation significative du principe du droit à un procès équitable permettant de remmettre en cause leur culpabilité.

Le deuxième grand apport de cet arrêt est la contestation des fondements politiques. Ce procès n'est pas un procès politique, ce n'est pas le retour aux procès staliniens, n'en déplaise aux défendeurs de Yukos. La Cour rappelle que cette opinion est défendue par des hommes politiques, par des ONG étrangères et des structures internationales, c'est une position, mais une position pour laquelle aucune preuve tangible n'a pu être apportée.

Troisième grand apport, la procédure est équitable, le juge n'a pas pris parti, les avocats ont pu organiser la défense de leurs clients.

Alors, que reste-t-il ? Oui, il y a eu des violations. Notamment en ce qui concerne le traitement des avocats et leur correspondance. Ici, la formulation est surprenante, puisque des avocats "hautement qualifiés" ont été fouillés et il leur a été demandé de transmettre leur correspondance. Cela veut-il dire que des avocats moins qualifiés auraient eu le droit d'être fouillé dans les mêmes circonstances? Surprenant ... Egalement le fait que les inculpés aient été dans les espaces clos lors du procès dans la salle d'audience donne une image de culpabilité avant le jugement et est, en soi dégradant. 

On peut s'interroger en revanche sur le bien fondé de la reconnaissance par la CEDH de la violation du droit à la vie familliale. Le fait d'avoir été envoyé dans des centres de détention éloignés de Moscou les empêche d'avoir une vie familliale normale et il est reproché à l'administration pénitentiaire de ne pas les avoir incarcérés plus près de Moscou, comme la législation en prévoit la possibilité. La Cour souligne même qu'il est difficilement concevable que tous les établissements pénitentiaires dans la région soient à ce point surchargés qu'ils ne puissent accueillir deux détenus de plus. Dans la mesure où l'on parle constamment de la surpopulation carcérale, l'argument de prisons vides autour de Moscou fait sourire, au minimum la Cour aurait pu se renseigner. Par ailleurs, pourquoi libérer des places pour MM. Khodorkovsky et Lebedev et pas pour un anonyme? Doit-il y avoir des traitements de faveur ou bien chaque détenu a un droit égal à la vie de famille? Pour y remédier, il ne reste qu'une seule solution, l'administration pénitentiaire ne pouvant satisfaire chacun: remplir Moscou et la région de prisons, les entreprises pourront aller travailler au bien du pays dans le Nord ou en Sibérie, où il y a beaucoup d'espace vide.

L'autre violation concerne les experts de la défense. Le problème est quand même plus général et concerne la détermination du domaine de l'expertise. En regardant la décision, on voit des spécialistes du droit de l'entreprise ou de droit fiscal. Mais le juge doit-il accepter a priori toute expertise? Non, évidemment. Une expertise, en théorie, est une analyse portant explication sur des aspects factuels de l'affaire. Il ne peut s'agir d'un cours de droit, pour l'appréciation des aspects juridiques de l'affaire il y a justement le juge. Il est vrai que les frontières se brouillent dans la pratique, pourtant il est important de les restaurer.

Il serait possible de continuer longtemps encore sur cette décision, mais l'essentiel est clair. Ils sont coupables des faits pour lesquels ils ont été condamné par la justice russe lors d'un procès qui ne viole pas le droit à un procès équitable. Et c'est alors que la machine médiatique libérale pro-Khodorkovsky s'emballe.

Moins d'une heure après le jugement, un message étonnant est envoyé à différentes personnalités françaises par Boris Durande, dirigeant actuellement la comm de Khodorkovsky en France: 

"Si l'on peut regretter que les juges aient pris tout leur temps (les faits remontent à 2004-2005) au point que ce jugement intervienne après l'expiration de la totalité de la sentence liée à ce premier procès (8 ans), les avocats de Mikhaïl Khodorkovski et Platon Lebedev n'en demandent pas moins la libération immédiate de leurs clients compte tenu de la gravité des infractions constatées par la CEDH.

Lire leur déclaration ci-dessous. Une analyse plus détaillée du jugement, qui fait 206 pages, sera disponible dans la journée.

Bien à vous,

Boris Durande
Stratecom PR"

Pour information Boris Durande qui est aujourd'hui le porte parole de M. Khodorkovsky en France, était avant cela étroitement lié au gouvernement français et à l'Union europénne. Sur son profile, il indique ceci: 
  • "Directeur associé chez Euro RSCG C&O / Porte-parole chez Ministère de l'Economie et des Finances / Responsable de la communication sur l'Euro en France chez Commission Europeenne". Cela aussi est intéressant ... puisqu'il était alors porte-parole de Fabius, dans le Gouvernement de Jospin, Fabius qui est aujourd'hui ministre des affaires étrangères.

Et là le décalage entre la guerre médiatique et la décision de justice devient ahurissant. Face à une reconnaissance de culpabilité par la justice, les avocats et le groupe Khodorkovsky demandent la libération immédiate. Mais ce n'est pas tout. Le Press center Khodorkovsky en Russie lance une attaque contre le service de presse de la CEDH, qui est contraint de modifier la présentation de la décision. Alors, immédiatement, des journaux comme NewsRu, Nezavisimaya gazeta et autres titrent que la CEDH modifie son communiqué de presse, certains vont même jusqu'à affirmer la reconnaissance du caractère politique du procès. Tout cela n'est qu'une opération de communication, mais qui va lire l'intégralité du jugement ou même les 10 pages du communiqué de presse?

D'une manière générale, la presse libérale russe attaque la faiblesse de la CEDH, sa décision politique, le cadeau qu'elle a fait à V. Poutine (mais oui, encore lui). Ils insistent non pas sur le fond, la reconnaissance de culpabilité et le procès équitable, mais sur des détails de l'affaire. Certains avançaient même que le ministère de la justice russe pourrait demander la révision du procès pour appliquer la décision. Absurde, car la condamnation est légitime. Mais peu importe, il ne faut surtout pas aller au fond, il faut destabiliser.

Ainsi la justice des médias tend à se substituer à la justice des tribunaux, en modifiant l'interprétation de la décision par un remplacement du discours dominant.



jeudi 25 juillet 2013

SOS machines à écrire!!!

Voir: http://www.kommersant.ru/doc/2224614

Et oui, 35° à l'ombre, sans ombre, oblige à l'humour, question de survie. Et le journal russe, pourtant très sérieux, Kommersant Vlast, n'en manque pas en reprenant un article du Daily Telegraph de Londres. L'on se croirait dans un mauvais roman d'espionnage.
 
Le mois dernier apparaît l'information selon laquelle le Kremlin, suite aux différentes fuites et surveillances internationales, décide de faire un bond dans le temps pour revenir à l'âge des machines à écrire pour ses correspondances internes secrètes. A en croire le Daily Telegraph, il semblerait que cette époque soit assez proche de l'Age de pierre, en tout cas de celle de l'inefficacité.
 
Et d'annoncer les problèmes techniques liés aux nombreuses coquilles qui peuvent modifier le sens d'un texte, voire le rendre totalement incompréhensible. Mais le problème est-il réellement là?
 
On peut sérieusement en douter. Sortir de l'informatique ferme la porte à la facilité du vol de données. Certes il est toujours possible de trouver quelqu'un qui va photographier les documents, mais ... il faut le trouver. Cela demande une organisation différente, plus complexe. Et ici réside certainement le fond du problème. Alors l'on voit émerger "nombre d'experts du renseignement", des professeurs de journalisme, etc pour expliquer à quel point ce n'est pas faisable et qu'il s'agit en fin de compte "d'une mauvaise idée". Point.
 
Il est vraiment très gentil de la part des services britanniques, qui avaient tellement bien assuré la maintenance informatique lors des derniers G8 et G20, de s'inquiéter de la sécurité et de l'efficacité des services russes. Ne doutons pas que l'Administration présidentielle russe en prendra bonne note.

mardi 23 juillet 2013

Chambre sociale russe: salaire, indépendance et exemple français

Voir: http://izvestia.ru/news/554134
http://fr.wikipedia.org/wiki/Conseil_%C3%A9conomique,_social_et_environnemental#R.C3.A9mun.C3.A9rations_et_indemnit.C3.A9s

La question de la rémunération des membres de la Chambre sociale russe a été lancée par certains de ses membres, puisque à ce jour ils ne reçoivent que des indemnités de déplacement. Pourtant l'idée ne fait pas l'unanimité, la peur de la perte d'indépendance est avancée.

Composée aujourd'hui de 126 membres (avec un maximum de 166 membres), la Chambre sociale est un organe consultatif auprès du Gouvernement russe. Cet organe se veut indépendant, tant au regard de sa composition, que de l'absence de rémunération budgétaire de ses membres. Selon les nouvelles dispositions législatives, les membres sont pour moitié nommés par les Chambres régionales, pour un quart par vote sur internet et pour un quart par le Président russe.

Lors de sa création elle a très souvent été comparée au Conseil économique, social et environnemental français, puisqu'elle intervient pour rendre des expertises sur les projets de loi et peut indiquer des réformes souhaitables. Cette Chambre sociale est principalement composée de représentants de la société civile, ce qui en Russie renvoie non pas aux syndicats ou organisations professionnelles, mais aux ONG. Et ici, nous voyons poindre deux différences fondamentales avec le système français, à savoir la composition et la rémunération. Voyons ce qu'il en est pour la France.

Le CESE est composé de 233 membres qui se répartissent en 9 sections thématiques et en 18 groupes. Ils sont nommés soit par les organismes syndicaux ou professionnels, soit par décret en conseil des ministres (pris sur rapport du Premier ministre), soit par décret ministériel. Cette première diffrence tient essentiellement à la diffrence de structuration des sociétés russes et françaises. Si en France, les syndicats et organisations professionnelles sont bien sructurées et suffisamment développées, ce n'est pas le cas en Russie, où le relais est pris par les ONG, avec tout les aléas que cela peut comporter. Cet aspect joue également sur la différence concernant le mode de nomination. L'excessif besoin de transparence en Russie conduit à des modalités de vote assez étranges, comme le vote par internet. Et l'expérience du Conseil des droits de l'homme auprès du Président, qui a également eu recours à ces modalités, a démontré toutes les difficultés de sa mise en oeuvre.

La seconde principale différence organisationnelle est la rémunération. Alors que les membres de la Chambre sociale travaillent bénévolement, et dans l'ensemble y tiennent, ce n'est pas le cas de leurs collègues français. Voici quelques chiffres pour 2012. Le budget du CESE fait partie du budget de la mission Conseil et contrôle de l'Etat, qui finance également le Conseil d'Etat et la Cour des comptes. Pour 2012, 37 473 575 euros étaient ouverts à ce titre. La rémunération mensuelle des membres dépend de leur hiérarche dans l'institution. Le président du CESE perçoit 7 535,52 euros, les présidents de groupe perçoivent chacun 5 651,90 euros, les membres 3 786,76 euros et les personnalités 956,69 euros. Sans compter les 145 fonctionnaires qui y travaillent à temps plein et les 17 agents contractuels spcialisés, le budget annuel du CESE s'élève à 991 584,80 euros. Ce qui est plutôt conséquent. Sans oublier les nombreuses critiques venant de tous bords politiques soulignant un coût élevé pour un résultat contestable.

Et c'est justement ce dont a peur l'administration présidentielle russe, de devoir financer tous les conseils existant en Russie (et ils sont nombreux). Elle s'y est donc farouchement opposée, arguant elle aussi de l'indépendance. Pourtant, peut-on réellement affirmer que l'indépendance tienne seulement au financement? C'est à en douter. Ce facteur n'est certes pas négligeable, mais il faut également considérer le fait que la Chambre sociale n'est pas un organe de la société civile, elle est un organe public composé de membres de la société civile, ce qui est différent. Et ils exercent une activité qu'ils prennent sur leur temps de travail. N'y aurait-il pas également un fondement à rémunération? Pour éviter un emballement budgétaire à financer tous ces Conseils ou autres structures consultatives dont les compétences se recoupent parfois, ce pourrait être l'occasion d'y faire un peu le ménage. La légitimité de l'Etat n'est pas proportionnelle au nombre de conseils "sociaux" consultatifs qu'il met en place. 



lundi 22 juillet 2013

Higher School of Economics entre en combat contre le régime

Voir: http://www.polit.ru/article/2013/07/22/letter/

Un groupe d'enseignants-chercheurs de la Haute Ecole d'Economie, à Moscou, prend la tête du combat contre le régime constitutionnel russe actuel. Leur démarche est officialisée à travers une lettre ouverte (que vous trouverez dans le lien), signée essentiellement par des membres de cet université, mais également par des avocats et quelques membres d'autres universités.

Il faut savoir que la Haute Ecole d'économie a été créée en 1992 par le ministère de l'économie, à l'époque du libéralisme triomphant, et assez destructeur, des années 90. Elle en a toutefois gardé l'idéologie. Plus tard, une faculté de droit a été instaurée, qui garde l'idée d'une interdisciplinarité très forte en droit, le recours permanent à l'économie et à la sociologie pour l'étude du droit, dans la plus fidèle tradition américaine de l'enseignement juridique. Or, rappelons que dans la tradition américaine de l'enseignement du droit, les deux mouvements Critical Legal Studies et Law and Economics, qui ont conduit à remettre en cause l'autonomie du droit et diluer l'enseignement juridique avec toute autre spécialité (allant même jusqu'au Law and feminism ou Law and litterature), ont connu au début un tel succès car les spécialistes d'autres disciplines ne pouvaient trouver un emploie après leur formation. En s'inscrivant ensuite dans une Ecole de droit, ils avaient plus de chance. Toutefois, cette expansion trop forte a provoqué une certaine réaction, une crise identitaire et dévalorisé la production scientifique (voir C. Jamin, La cuisine du droit, p. 113-118).

Cette tentation du "tout-droit" touche largement les milieux universitaires, non seulement français, mais également russes. Il est plus sexy, comme il est de bon ton maintenant de le dire, de soupoudrer une analyse juridique d'éléments moins rigoureux, plus attrayants, pouvant toucher un public plus large. Cela conduit surtout à terme à dévoyer les concepts, à les vider de leur signification juridique, pour les remplir d'une signification économique ou politique. Ce qui a un effet pervers sur le système étatique lui-même, puisque le droit lui donne sa structure.

Cette fameuse "lettre ouverte" en est un bel exemple. L'on y parle de tout et de rien, mais très joliement. L'idée est de produire un J'accuse juridique, en s'appuyant sur la légitimmité que donne l'exercice professionnel du droit, sans du tout se plier à sa rigueur d'analyse. L'ordre constitutionnel russe, selon les auteurs, est en danger et l'état de droit s'est transformé en simple déclaration d'intention. Soit. Et d'invoquer, par exemple, la justice au service du pouvoir. Sans analyse des logiques de système exliquant les arcanes de la justice. Il aurait également été intéressant, pour le coup, de faire une analyse statistique - qui n'existe pas - concernant les affaires pour déterminer le taux d'erreur judiciaire. Le problème est que cela est objectivement impossible. Car en dehors du flagrant délit, nous sommes toujours dans la subjectivité, c'est la raison pour laquelle un ordinateur ne pourra pas remplacer un juge, il manque d'humilité. 

L'on y parle également de falsifications d'affaires pénales par les services spéciaux et par la justice, comme d'une chose courante. Sans aucune preuve tangible. Maintenant, un jugement rendu qui ne convient pas à l'idée que se fait la bulle libérale des résultats de l'enquête est une affaire politique. Une affaire fabriquée. Sans démonstration, se fondant simplement sur le on sait bien que ... Pourtant on ne sait pas, on imagine, on suppose, on espère, on extrapole, mais on ne sait pas. Et l'on en parle quand même. En professionnel. Parce que la communication doit remplacer la justice. Parce que la justice se rend dans la presse et non dans les tribunaux. Est-ce cela leur conception de l'état de droit?

Alors qu'ils décrient la loi du plus fort, à laquelle est censé recourir le pouvoir, ils l'utilisent eux-mêmes, ici. Cela ressemble à un cri. A un cri d'impuissance. Impuissance politique, car il leur manque le soutien de la majorité de la population, qui a déjà vécu les années 90 et n'a pas particulièrement envie de voir revenir ces grands hommes. Impuissance intellectuelle ensuite, car ils sont incapables de proposer un modèle alternatif qui ne soit un emprunt. 

Ce qui se dégage de cette lettre est assez désagréable et pitoyable. Un rejet de la société russe, archaïque, qui ne correspond pas à leur modernisme. Une allégeance sans réflexion au modèle anglo-saxon, quitte à entraîner la destruction de leur pays (ce qu'ils ne veulent pas forcément d'ailleurs). Et toujours la réthorique soviétique dont ils ne peuvent sortir, même si son application à la société russe contemporaine est totalement dépassée. Peut-être faudra-t-il une génération, décomplexée, pour en sortir...