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vendredi 22 juin 2012

Le pouvoir en quête de légitimité et le "gouvernement ouvert": encore une déformation institutionnelle

Voir: http://izvestia.ru/news/528113

La question de la légitimité du pouvoir - et les risques que posent cette question pour l'existence de l'Etat en tant que tel - est au centre des interrogations, tant du côté de la majorité, que de l'opposition, et chacun tente de lui apporter sa réponse.

Dans un excellent article paru dans Novaya gazeta, V. Igrunov (voir l'article ici http://www.novayagazeta.ru/columns/53154.html) souligne le danger de l'incitation par l'opposition à mettre en place des structures parallèles: une "assemblée nationale" qui représenterait toute la Russie mais initiée par Drugaya Rossiya, l'idée pour la société d'élire ses propres juges et de ne reconnaître la validité que de leurs décisions, etc. La conclusion est évidente: le simple fait d'envisager l'existence de tels mécanismes parallèles, qui courcircuitent les macanismes étatiques, démontre l'échec de l'Etat actuel à absorber par le droit "étatique" les processus sociaux. En cela réside la démonstration du manque de légitimité du pouvoir, qui risque de déborder sur la question de la légitimité de l'Etat russe.

Si pour sa part, l'auteur propose de revenir aux canons du parlementarisme, pour faire de la Douma non pas un simulacre de Parlement mais l'instance d'une réelle représentation populaire, d'autres idées émergent également. Ainsi, I. Chuvalov, premier vice-premier ministre, propose pour sa part d'intégrer plus en avant le "gouvernement ouvert" dans les mécanismes de pouvoir afin de faire passer le message à la société. Le caractère absurde et contreproductif de cette proposition est indéniable.

Tout d'abord, d'un point de vue institutionnel, la proposition revient simplement à "institutionnaliser" un mécanisme de contournement des institutions, dans la même veine que les propositions de l'opposition. C'est ainsi une manière, certes différente dans la forme mais identique dans le fond, de reconnaître l'incapacité du système institutionnel actuel à remplir sa mission. Or, là aussi, le problème est faussé, puisqu'il ne s'agit pas d'un problème au niveau des institutions, mais des gens qui les composent. Le problème n'est pas juridique, mais politique. Donc reconnaître une institution de fait, qui n'a aucun existence juridique, gérée de la même manière que les institutions officielles - c'est-à-dire dans la même logique politique - n'apportera aucune valeur ajoutée de légitimité. Les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Ensuite, la démarche proposée est comme toujours unilatérale. Il s'agit, à travers une composition plurielle du "gouvernement ouvert" comprenant les opposants "durs", de faire passer le message explicatif de l'activité du Gouvernement vers la société, ce qui doit avoir pour effet magique un consentement immédiat. Dans l'idée de I. Chuvalov, les opposants ne sont pas d'accord avec le pouvoir, simplement parce qu'ils ne comprennent pas. C'est une manière délicate de les considérer comme des imbéciles ou comme des enfants que les parents doivent éduquer. Et dans cette démarche, évidemment, il n'est pas question de les consulter et d'entendre leur point de vue. Il ne s'agit donc pas d'un dialogue, mais d'un discours.

Enfin, sur le fond, le pouvoir ne comprend toujours pas qu'il est absolument normal qu'une opposition existe. Et qu'elle existe non pas parce qu'elle ne comprend pas ce que fait la majorité, mais simplement parce qu'elle n'est pas d'accord et qu'elle a une autre vision des choses. Leurs points de vue sont donc irréductibles, ce qui rend inefficace la proposition de I. Chuvalov.

Bref, pour retrouver cette légitimité perdue, sans laquelle aucun pouvoir ne peut gouverner efficacement et longtemps, il n'est pas nécessaire de créer et d'imaginer des mécanismes et des institutions parallèles, mais de rendre leur sens premier à celles qui existent. Formellement - juridiquement - sur le plan consitutionnel, le système actuel est viable, il doit être réalisé sur le plan politique.

mercredi 20 juin 2012

CEDH: l"opposition a honnêtement perdu les élections de 2003

Voir: http://www.gazeta.ru/politics/2012/06/19_a_4632129.shtml


La Cour européenne des droits de l'homme vient de rendre un arrêt en chambre concernant la contestation par le parti communiste, le parti Iabloko et certains politiciens de la manière dont les élections parlementaires de 2003 se sont déroulées. Bien qu'argumentant sur l'inégalité de la couverture médiatique, la partialité des journalistes couvrant l'évènement et l'impossibilité d'avoir un jugement équitable auprès des juridictions nationales, la CEDH n'a pas suivi les requérants et a soutenu la décision rendue par la Cour suprême de la Fédération de Russie en la matière.

Cet arrêt pose plusieurs questions intéressantes, qui prennent de court la rhétorique habituelle de l'opposition politique russe. Et, dans le contexte de réforme de la Cour de Strasbourg, on peut en déduire l'affirmation d'une volonté de ne pas se substituer aux juridictions nationales et de ne pas entrer dans les questions de politique intérieure des Etats, tant que les violations ne sont pas graves et patentes.

Le 1er août 2005, le parti communiste, le parti Iabloko, S. Ivanenko, E. Kiselyev, D. Muratov, V. Ryjkov, V. Solovyev et I. Khakamada déposent un recours devant la CEDH pour violation de l'article 13 de la Convention (droit à un recours effectif), de l'article 6 de la Convention (droit à un procès équitable) et de l'article 3 du 1er Protocole (droit à des élections libres).

Selon les requérants, les principales chaînes nationales qui ont couvert les élections ne l'ont pas fait de manière équitable. Le temps d'antenne lors de la campagne officielle fut de 642 minutes pour le parti Edinaya Rossiya, de 316 minutes pour le parti communiste et de 197 minutes pour Iabloko. De plus, les journalistes n'ont pas couvert les évènements de manière neutre et la relation de l'activité des partis d'opposition était négative, ce qui n'était pas le cas pour le parti du pouvoir. Ces éléments auraient donc eu pour effet de manipuler l'opinion publique, de la rendre défavorable à l'opposition, expliquant ainsi la victoire d'Edinaya Rossiya, le faible résultat du parti communiste et l'échec total de Iabloko.

S'adressant à la Commission centrale électorale à propos de la couverture inéquitable des élections par les chaînes nationales, Iabloko a obtenu la reconnaissance de l'existence de certains éléments défavorables à son encontre. Les opposants se sont alors adressés encore à la Commission et à différentes instances à ce sujet, Commission qui a enjoint en novembre 2003 les chaînes publiques à respecter le principe de neutralité.

Suite aux résultats des élections, les requérants se sont adressés à la Cour suprême pour les faire annuler. En substance, la Cour les a débouté, et en première instance et en appel, dans la mesure où:
  •  même si la couverture médiatique a parfois été critique, ils avaient la possibilité d'acheter des espaces publicitaires payant en plus des espaces gratuits mis à leur disposition (ce qu'a fait Iabbloko);
  • la différence en terme de volume de couverture médiatique peut également s'expliquer par la difficulté à distinguer pour le parti au pouvoir, à quel moment les journalistes couvrent l'activité électorale et à quel moment il s'agit de la couverture de son activité de gestion des affaires publiques;
  • il n'est pas prouvé que l'attitude négative de certains journalistes soit le résultat d'une pression officielle - il peut également s'agir d'une position personnelle;
  • en dehors de la couverture officielle, les partis avaient la possibilité de recourir à d'autres moyens pour faire passer leurs idées;
  • le lien de causalité directe entre les résultats obtenus et la couverture médiatique n'a pas été démontré. 
La CEDH a suivi en tous points la décision de la Cour suprême, soulignant également que la question du principe de l'indépendance de la Cour suprême ne se pose pas. Les requérants furent donc déboutés sur tous les points contestés.

Cette décision est intéressante à plusieurs points de vue.

Tout d'abord elle porte atteinte à la position quasiment unanime selon laquelle l'opposition perd systématiquement les élections, non pas en raison de son incapacité à convaincre un électorat suffisant, mais uniquement en raison des pressions étatiques. En l'occurrence, de la pression de l'Etat sur les médias qui donnent systématiquement une mauvaise image - sans fondement - de l'opposition, formant ainsi les esprits contre elle. En d'autres termes, la propagande d'Etat est à la source de l'échec constant de l'opposition. Il est peut être temps pour l'opposition de faire un examen de consience pour enfin entrer de manière efficace dans le jeu politique: les élections ne se gagnent pas dans la rue, mais dans les urnes. Et cela demande un véritable travail de fond, de construction d'un programme, de dialogue avec les électeurs, de démarche presqu'à domicile, beaucoup plus contraignant et beaucoup moins ludique que les promenades littéraires. Mais plus efficace...

Ensuite, la Cour reste consciemment en retrait des questions de politique intérieure et ne prend pas a priori position. Cela se voit par la nécessité de "prouver" le lien de causalité entre la couverture médiatique et les résultats, de prouver également l'existence de pressions étatiques sur les journalistes. La CEDH n'est pas une "organisation civile" de défense des droits de l'homme, qui a donc et naturellement une certaine orientation politique. Il s'agit au contraire d'une "juridiction" de défense des droits de l'homme, ce qui exige une argumentation juridique et une neutralité politique. Ce qui est ici démontré. Le rôle de la Cour n'est de toute manière pas d'annuler des élections nationales. Elle n'en a ni la compétence ni la légitimité.

Enfin, la CEDH n'a pas vocation à se substituer aux juridictions nationales. Et il n'est pas possible d'arguer a priori du principe d'inefficacité des recours internes ni d'avancer un principe de dépendance des juridictions nationales. la Cour n'entre pas dans cette rhétorique trop facile et particulièrement destructrice. Quand une juridiction nationale rejette un recours, cela n'implique pas automatiquement sa dépendance politique. Sur des questions aussi sensibles, la dérive d'interprétation idéologique est facile. L'indépendance d'une juridiction se mesure aussi par la qualité et l'adéquation au résultat de l'argumentation dans la décision. Ce qui a ici été le cas. 
     



mardi 19 juin 2012

L'énigme du Conseil des droits de l'homme

Voir: http://www.specletter.com/obcshestvo/2012-06-18/da-budet-sovet.html

Le Conseil des droits de l'homme auprès du Président de la Fédération de Russie est une institution étrange. D'un point de vue politique, sa création fut une démarche volontariste cherchant à démontrer le choix fait d'encrer la Russie dans le cercle des pays où les droits de l'homme sont une valeur centrale, tout au moins déclarées telles.

Mais étant situé justement auprès du Président, il oblige - ou devrait. Ses avis doivent être pris en compte, mais ils doivent égalemen têtre professionnels et non émotionnels, ce qui devient très rapidement difficile en matière de droits de l'homme.

Pour un certain nombre de membres - sortants - et d'experts, ce Conseil est devenu décoratif. Où peut-on en trouver la raison?

Dans le pouvoir? Il est vrai que le mode de gouvernance ne prête pas à une discussion large et ouverte, malgrè les grandes déclarations concernant la société civile et sa consultation périodique sur des sujets sensibles.

Dans son positionnement institutionnel? Il est surprenant de voir ce type d'institution directement rattaché au Président, car soit son indépendance réelle soulèvera des doutes, soit le conflit est inévitable: aucun système ne supporte une critique forte et constante venue de l'intérieur. On l'aurait plutôt vu sous la forme, en droit français, d'une autorité indépendante.

De ses missions? Le but de ce Conseil n'est pas très clair. S'agit-il d'attirer l'attention du pouvoir sur des problèmes systémiques en matière de droits de l'homme - et dans ce cas, il est fondé de s'intéresser principalement aux grandes affaires - ou s'agit-il de tenter d'améliorer le système politico-juridique afin de le rendre plus efficace pour la majorité - dans ce cas la démarche retenue ne peut être efficace. Il serait important que le Conseil lui-même détermine avec plus de précision sa mission, cela augmenterait sa légitimité tant au niveau des institutions que de la société.

De sa composition? La composition efficiente découle des finalités de l'action retenue par le Conseil, c'est pourquoi le mélange des genres aujourd'hui prête à confusion. S'il s'agit de participer à une réforme réelle et profonde du système juridique, on peut douter de l'utilité de personnalités comme Pozner (journaliste politique "indépendant" bien pensant) ou Chevtchuk (musicien engagé). L'engagement social est certes très important pour marquer les problèmes, mais le débat devient vite très émotionnel et peu professionnel. Et ici l'ambigüité atteint son paroxysme: d'une part la présence de personnalités reconnues par la société donne l'encrage "libéral" du Conseil, d'autre part ce sont des personnalités moins connues du grand public mais compétentes en matière juridique qui permettraient de réaliser des expertises fondées et de qualité, capables de convaincre de la nécessité de changements, justement dans la voie proposée.

Il est regrettable que cet équilibre ne soit pas encore atteint.

lundi 18 juin 2012

Le Centre renforce la verticale administrative

Кремль усиливает контроль над кадровой вертикалью

Alors que les élections locales se développent, notamment avec l'élection des gouverneurs, le département de la politique intérieure de l'Administration présidentielle se réforme pour intégrer un nouveau département, celui de la politique du personnel dans les régions.

Au niveau fédéral, une réserve de personnel a déjà été donnée, mais au niveau local, il est difficile d'évaluer de quelle réserve de personnel compétant disposent les pouvoirs locaux. Il s'agit dès lors de mettre en place une évaluation des forces en présence, afin de savoir quelles sont les ressources en personnel dans quelles régions. Cela ne concerne évidemment pas les membres élus.

De plus, comme cela existait lors de l'Empire russe et de la période soviétique, il s'agit de développer une politique locale en la matière, qui soit plus rationnelle qu'elle ne l'est actuellement.

Les experts se contredisent sur cette question. Pour certains, l'instauration de ce nouveau département permettra une rationalisation de la politique du personnel d'Etat sur l'ensemble du territoire, allant jusqu'à certaines grosses municipalités comme Oufa. Pour d'autres, l'enjeu est surtout de contrer le poids que les gouverneurs - après leur élection - peuvent acquérir du fait de l'élection directe. Le Pouvoir voudrait de cette manière compenser se perte d'emprise possible dans les régions.

Mais il ne faut pas oublier que la logique administrative, dans tous les Etats, nécessite la mise en place d'un savant dosage entre l'autonomie locale et la surveillance de structures étatiques. Si la Russie peut trouver ce point d'équilibre, il serait enfin possible de développer une politique locale efficace.